En pleine nuit, la lumière blanche, c'était plus froid et cru que jamais. J'ai posé mes lunettes à côté de l'ordinateur. Je me suis frotté les yeux. Dans le petit miroir près des photos, j'ai vu qu'ils étaient rouges. J'ai regardé mes deux filles, leurs sourires en arrêt.
J'ai flâné entre les bureaux, certains alignés, d'autres en quinconce, pour la plupart jonchés de papiers et de dossiers en cours. Des tasses de café en plastique marron s'empilaient près de cendriers pleins. Accrochés au faux plafond moucheté, les néons grésillaient, accusaient de très légères baisses de tension. Mes pas claquaient mollement sur le revêtement plastifié.
Le café était brûlant, je l'ai bu debout près des ascenseurs. Par la porte entrouverte, j'apercevais le bureau impeccable d'Isabelle Cheveau. Elle était partie deux heures plus tôt. Elle m'avait dit : je ne veux pas le savoir, elle m'avait dit : je veux ce dossier demain matin sur mon bureau et moi j'avais répondu : mais demain c'est le 25 décembre, j'avais répondu ça, prononcé ces mots-là avec ce ton geignard qui l'exaspérait et qui faisait que parfois je me dégoûtais. J'avais senti les larmes monter, je les avais senties venir, je me suis dit non, pas cette fois, tu ne vas pas encore pleurer devant elle, et j'ai serré les dents jusqu'à les entendre crisser, j'ai serré les mâchoires jusqu'à la douleur.
Eh bien demain, imaginez-vous que moi je travaille, Noël ou pas, elle a fait. J'ai une réunion le 26 à la première heure et il me reste une journée de boulot complète pour tout préparer. Et tout ça c'est votre faute. J'ai besoin de votre dossier pour avancer. Si vous n'aviez pas pris autant de retard...
Vous savez bien que ma fille a été malade.
Ecoutez, ça ne me regarde pas. Tout ce que je sais, c'est que vous n'avez pas fini dans les délais. Tant pis pour vous. Et tant pis pour moi, qui vais devoir travailler le jour de Noël. Bon, je ne vous retiens pas, vous avez du pain sur la planche. Au revoir, et surtout vérifiez bien toutes les données, je ne veux pas d'erreur.
J'ai fini mon café. Sans réfléchir, je suis entrée dans son bureau. Je me suis assise dans son fauteuil pivotant, je l'ai fait tourner, je me suis retrouvée face à la baie vitrée. J'étais seule au quarante-septième étage de la tour. Vu d'ici, le parvis n'était plus qu'une petite plaque de béton. A cette heure, tous bureaux fermés, la Défense était une ville fantôme, noire et inquiétante. En face, des femmes de ménage s'activaient, vêtues de blouses roses, des noires pour la plupart. Je les ai regardées un bon moment, elles traînaient leurs chariots sur la moquette pâle, vidaient les cendriers dans les poubelles, les poubelles dans de grands sacs. Elles jetaient des gobelets et des papiers déchirés, passaient un chiffon ou une éponge sur les bureaux, époussetaient les claviers d'ordinateur, nettoyaient les écrans. Parfois elles disparaissaient durant quelques secondes et revenaient armées d'un aspirateur qui semblait peser des tonnes. Je me suis demandé vers quelle heure arriveraient celles qui s'occupaient de nos locaux. Je n'étais jamais restée assez tard pour les voir.
J'ai eu envie d'appeler les filles mais je me suis retenue. J'avais encore dans le crâne et les oreilles la voix étranglée de la grande quand je lui avais annoncé qu'on fêterait Noël le