Je me suis remise au travail. La femme de ménage circulait lentement, allait de bureau en bureau, passait un coup d'éponge, un chiffon, soulevait des objets qu'elle prenait soin de reposer à leur place exacte. Je me suis demandé si elle faisait toujours ça aussi consciencieusement ou si c'était seulement parce que j'étais là.
Au bout de quelques minutes, elle est arrivée près de moi et m'a demandé si je voulais qu'elle nettoie mon bureau, elle en avait pour quelques minutes. J'ai répondu que ça pouvait attendre.
Ah, alors c'est vous qui êtes là.
Ben oui, c'est moi. I
A chaque fois que je viens, je m'assieds à votre bureau pour faire ma pause. Je fume une cigarette. Ça ne vous dérange pas ?
Bien sûr que non.
C'est à cause de la photo. Vos filles elles sont tellement mignonnes. Surtout la petite. Elle est rigolote, avec ses dents.
J'ai hoché la tête et elle m'a souri.
Je vous empêche de faire votre travail, là. De toute façon ce soir je vais faire vite. C'est Noël, je ne veux pas rentrer trop tard.
Je l'ai regardée s'éloigner en traînant son chariot. Il m'a semblé qu'elle chantonnait.
Avant de partir elle m'a crié au revoir. J'ai bâillé, j'étais morte de fatigue. J'avais peur de m'endormir assise devant l'ordinateur allumé. Dans les toilettes, je me suis passé un peu d'eau sur le visage. Vers deux heures et demie du matin, mon téléphone a sonné. Mon cœur a sauté dans ma poitrine, j'ai eu peur que ce soit les filles, qu'il leur soit arrivé quelque chose, un cambrioleur ou le feu à l'appartement. J'ai décroché et c'était Isabelle Cheveau. Elle voulait s'assurer que tout serait bien terminé, que tout serait sur son bureau, et les fichiers transférés sur son ordinateur. J'ai répondu que oui, tout serait fait, et j'ai raccroché. A haute voix, j'ai dit sale conne, et puis aussi je t'emmerde. J'ai pleuré mais c'était juste la fatigue et la rage. Je pensais à mes filles dans l'appartement triste, je me suis dit qu'il faudrait que je le décore un peu mieux, que je mette des couleurs, des tissus, des tapis, des affiches, j'ai pensé aux cadeaux que je leur avais achetés et je me suis trouvée pingre. Je me suis demandé où je pourrais trouver des jouets, bien sûr c'était impossible de trouver quoi que ce soit à cette heure, qui plus est pendant la nuit de Noël. J'ai traité les huit dernières fiches. Je n'ai pas eu la force de relire. J'ai tout imprimé et j'ai éteint mon ordinateur.
La route était déserte. Tout semblait mort ou éteint. La radio diffusait des chants de Noël et c'était irréel, de rouler dans la nuit en écoutant ça. Mes yeux se fermaient de temps en temps. J'aurais pu m'assoupir doucement. J'étais dans cette chaleur cotonneuse qui précède le sommeil. Je n'ai rien senti quand la voiture a basculé. Puis il y a eu un choc, je crois que j'ai crié, l'airbag s'est déclenché, j'ai entendu un bruit de tôle enfoncée, de métal, de ferraille, de verre brisé et tout s'est éteint d'un coup. Les phares, le moteur, la musique. Je suis sortie de la voiture et j'ai compris que j'avais dévié avant d'échouer dans le fossé sur le bas-côté de la route. Les phares avant étaient brisés, une roue crevée et le pare-chocs sévèrement enfoncé. Derrière moi, j'ai entend