Un bébé encadré sur une étagère, un souvenir de vacances, un anniversaire. Une fille qui sourit coincée dans un sous-verre, un cadre fantaisie, un bord de mer, et personne ne bouge dans la tribu des yeux rouges, tous différents, les mêmes photos pourtant
... Les grands derrière, les p’tits devant.
Quelques photos de couple exposées comme des preuves, des photos de groupe, des amis qu’on punaise. On vérifie d’ailleurs l’air de rien chez les autres, qu’on fait partie des leurs, qu’a côté de leurs têtes y’a la nôtre. Sur la cheminée du salon des grands-parents, le casting tout entier de tous les p’tits enfants
... Les grands derrière, les p’tits devant.
Les albums familiaux sont les manuels d’histoire, qu’on regarde jamais, qu’on réserve au placard. Quand il était jeune, quand t’étais petit, quand elle était enceinte, quand ils étaient en vie. Portraits de fin d’année des gosses trop bien peignés, on dirait vraiment qu’ils ont mangé du ciment
... Les grands derrière, les p’tits devant.
La photo censurée, elle s’y trouvait pas belle, aussitôt développée, direct à la poubelle. Mignonne en paréo au retour de la plage, elle enlèvera pas le haut, c’est dommage. Le portrait qui fait rire du permis de conduire, celui qui fait peur, qu’est-ce que c’est qu’cette coiffure ? Qu’elles soient en couleur ou bien en noir et blanc, on fait tous, quelle horreur ! les mêmes photos tout l’temps
... Les grands derrière, les p’tits devant.
Qu’est-ce qui nous pousse au fond à refaire à la chaîne, tous les mêmes photos qu’on a vu par centaines, des photos de monuments qui sont jamais très belles, mais c’est nous qui l’a fait c’est pas la carte postale. Les photos de voyage à l’autre bout de la terre, les mêmes paysages, des mêmes belvédères . Nous sur un chameau, nous au ski en hiver, re-nous sur un bateau, et les épices du souk du Caire. Re-re-nous à Pâques, y’a deux ans déjà, re-re-re-nous à la Toussaint à côté d’Etretat . C’est vrai qu’on voit pas bien, que la photo est mauvaise, mais par la salle de bain je te jure on devinait les falaises ! Et ces photos souvenirs qu’on stocke acharnés pour pas qu’on puisse nous dire qu’on a pas profité. Rangées dans un tiroir celles qu’on veut plus voir et classées dans des livres des photos d’archives. J’ai encore jamais vu et ça chez personne, sa copine toute nue au dessus du téléphone, la photo d’son patron dans aucun salon, mais des vues de bords de mer, ah ça putain on sait l’faire ! Qu’on les range en vrac, qu’on les colle au mur, au fond d’un portefeuille ou dans un disque dur. Au fin fond de la Creuse, à Paris 16ème, on prend les mêmes poses, nos photos sont les mêmes. Qu’on soit le frère, la sœur, les parents, la tante, toujours les mêmes photos, mates ou brillantes. Des images inutiles sur toutes les vieilles pierres, le Mont-Saint-Michel, et les épices du souk du Caire…