Traduction du poème de Rudyard Kipling par Paul Éluard, musique: Bernard Lavilliers, 1988
Si tu veux voir détruit l'ouvrage de ta vie Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir Ou perdre d'un seul coup le gain de cent parties Sans un geste et sans un soupir
Si tu peux être amant sans être fou d'amour Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre Et, te sentant hais, sans haïr à ton tour Pourtant lutter et te défendre
Si tu peux supporter d'entendre tes paroles Travesties par des gueux pour qu'existent des sots Et d'entendre mentir sur toi leurs bouches folles Sans mentir toi-même d'un mot
Si tu peux rester digne en étant populaire Si tu peux rester peuple en conseillant les rois Et si tu peux aimer tous tes amis en frère Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi
Si tu sais méditer, observer et connaître Sans jamais devenir sceptique ou destructeur Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître Penser sans n'être qu'un penseur
Si tu peux être dur sans jamais être en rage Si tu peux être brave et jamais imprudent Si tu sais être bon, si tu sais être sage Sans être moral ni pédant
Si tu peux rencontrer triomphe après défaite Et recevoir ces deux menteurs d'un même front Si tu peux conserver ton courage et ta tête Quand tous les autres les perdront
Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire Seront à tout jamais tes esclaves soumis Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire Tu seras un homme, mon fils