A l´époque où la mer à boire etait à boire sans payer j´ai tout essayé pour le croire et j´ai tout bu sans essayer. A l´âge des pommes pas mûres on est prêt à n´importe quoi mais c´est un âge qui ne dure pas plus que le rêve ou la foi La mer à boire est un exploit, qui n´a jamais grande importance; beaucoup l´ont bue bien avant moi et bien plus vite qu´on le pense. Moi-même, je l´ai bue souvent sans soif aucune, je vous jure, mais pour remonter le courant ou faire ma bouche plus pure J´ai visité la mer à boire, le paysage en est exquis, on a presque peine à le croire, je me crus en pays conquis; les visages de ma jeunesse y folâtraient allègrement, j´y reconnus quelques faiblesses et la plupart de mes tourments C´est une mer étrange et belle, a vrai dire, et tous les serments que me prêtèrent quelques belles y trouvèrent leur dénouement; car tout finit, sur cette terre un matin, par se dénouer le peu qu´il reste de mystère est trop facile à déjouer La mer à boire est d´un autre âge. on sait qu´on n´y reviendra plus, nous avons perdu les visages enfouis au paradis perdu; si vite s´éteint la mémoire et les secrets de nos vingt ans sont noyés dans la mer à boire comment serais-je encore content?
Elle vit, la mer à boire, tout au fond de la mémoire, de tempête en tempête elle remonte à la tête.