La nuit hurlait. Déchirant l’air comme une plainte humaine, le vent sifflait, grondait sur l’océan enténébré tandis que les eaux frappaient la coque. Gémissant, le bateau se redressait, cabrait, tentait de rester maître de son cap alors qu’une conspiration des éléments le lui interdisait. Nous étions attaqués de toutes parts. — J’ai peur, Saad, j’ai très peur, cria Boub à mon oreille. La mort allait monter à l’abordage, c’était évident. Déjà la mer, après nous avoir nargués d’un sourire narquois en montrant ses dents baveuses d’écume, envoyait sur nous depuis le fond de l’obscurité son armée de soldats innombrables, des vagues brutales, véhémentes, qui, loin de nous porter, voulaient nous détruire, qui, plus dures que des sabres, attaquaient nos flancs, assénaient des coups à la carène, secouaient notre esquif tel un bouchon. — Nous devrions approcher de la Sicile, répondis-je, époumoné, à Boub pour le rassurer. J’allumai ma lampe-torche et fouillai l’ombre. En vain. Les rivages, visibles avant la tempête, avaient désormais disparu. Soudain, comme s’il s’était libéré d’un mouvement de reins, le bateau se souleva, puis, volant presque, s’engouffra dans le creux d’une vague, et, donnant l’impression d’avoir retrouvé son chemin, bondit en avant. Je repris espoir. L’arrière piqua. L’avant piqua. Une gifle d’eau nous écrasa sur le pont, nous plaquant au sol, nous, cent clandestins qui avions confié nos vies à cette mince embarcation. Des éclats de détresse retentirent malgré le vacarme. Pendant que nous nous accrochions à ce que nous pouvions, cordes, rambarde, instruments de navigation, pieds, mains, les torrents de liquide froids roulaient en tonnant sur le plancher, violents, enthousiastes, prêts à emmener avec eux, hors du bateau, ceux qui ne lui résisteraient pas. Agrippé à une marche, retenant Boub de l’autre main, je nous maintins au sol. Derrière nous, la grosse déferlante avait emporté plusieurs passagers. Je recrachai l’eau qui avait un goût de sel et de sang. Le bateau crissa. On aurait dit que sa carcasse se raidissait contre les flots. Vigoureux, le vent ne lâchait pas prise, essayant de nous coucher à bâbord, réessayant à tribord, vif, rapide, improvisateur, contournant le navire pour le chahuter par surprise. Un craquement résonna : le mât cédait. Il s’écroula sur le pont. Plusieurs victimes hurlèrent de douleur, blessées, assommées ; d’autres, éjectées, se noyèrent aussitôt. Pour empêcher les rescapés de s’apitoyer, quelques paquets de mer se brisèrent parmi nous. Percussion dans le gouvernail. Choc dans la quille. Quand la dernière lame s’écoula, elle avait nettoyé les bordages : nous n’étions plus qu’une vingtaine. Désormais le bateau gigotait comme un morceau de liège. À l’arrière, le capitaine ne contrôlait plus la façon dont nous prenions les vagues car il avait été aspiré par les rouleaux. Quelle conséquence ? Nous nous précipitions vers le néant, le trépas semblait inexorable. Nous tanguions. Nous roulions. Creux et crêtes se succédaient. Subitement, une éclaircie. Les nuages s’écartèrent pour laisser passer la lueur de la lune. À l’horizon, comme au ras du sable les yeux d’un crabe enfoui, deux phares tournaient et nous observaient. — La côte ! Nous sommes au large de la Sicile ! m’exclamai-je. Hélas, personne n’était plus disposé à m’entendre. Groggy, les survivants concentraient leurs forces restantes sur le point solide auquel ils se cramponnaient pour, en cas de nouvelle attaque, ne pas être charriés au fond des e