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Eric-Emmanuel Schmitt - Chapitre 4 | Текст песни

Comment parcourir des milliers de kilomètres lorsqu’on n’a pas un dinar ?
Ce matin-là, les nuages, faute de pouvoir empêcher le soleil de se lever, le repoussaient avec mauvaise humeur, lui opposant leur inertie de plomb, laissant suinter une lueur sale, grise, pauvre de lumière autant que d’ombre. De ma salle de bains, par la lucarne, j’apercevais les toits mornes, les terrasses encombrées de paquets, de linge, de matelas, telles des caves. Pas un chat, pas un oiseau. Seule la voix du muezzin, amplifiée par les haut-parleurs de la mosquée qui nasalisaient son timbre mat, coupait cette torpeur.
Comment parcourir des milliers de kilomètres lorsqu’on n’a pas un dinar ?
J’achevai de me raser avec un antique savon à barbe, lequel me permettait, grâce au parfum de santal mêlé de cèdre, de m’imaginer en compagnie de mon père, puis je commençai à soigner mes pieds.
Comment parcourir des milliers de kilomètres lorsqu’on n’a pas un dinar ?
— On vend, fils.
— Ah, tu es là ?
À son habitude, mon père, en maillot de corps et pantalon de pyjama, s’était assis sur le courtaud tabouret de bois.
— Oui, chair de ma chair, sang de mon sang, je suis là avec toi et je tente d’alléger tes soucis. Au fait, tes verrues ?
— Ça ne s’arrange pas.
— Tu m’étonnes ! Comptes-tu vraiment partir ?
— Tu es au courant…
— J’estime bien légère cette décision. Garde confiance, les problèmes vont progressivement recevoir leurs solutions.
— Le chaos triomphe, Papa !
— Allons, c’est passager.
— Non, Papa, tu t’illusionnes. Ça peut durer, ça n’ira pas mieux demain, ça peut même empirer demain. Donc, quand on n’attend plus de progrès, on part.
— Mm, je vois le raisonnement : ça n’ira pas mieux demain mais ça ira mieux ailleurs.
— Voilà.
— Si je résume la différence entre nous deux, fils, moi je suis un optimiste qui dit « demain », toi tu es un optimiste qui dit « là-bas ». Tu as l’optimisme déployé dans l’espace tandis que moi je l’ai planté dans le temps.
— Ne minimise pas la distance entre ton attitude et la mienne. Ton optimisme sédentaire, c’est le fatalisme.
— Et ton optimisme nomade, c’est la lâcheté de la fuite.
— Contrairement à ce qu’affirmait Maman, tu désapprouves cette décision.
Embarrassé, il se racla la gorge.
— Au début, je préférais que tu restes ici mais… hum… tu sais qu’avec ta mère, on n’arrive pas à discuter longtemps… elle finit toujours par t’emberlificoter, te couper de tes premières idées et te coincer dans les siennes.
— Je me suis souvent demandé, Papa, si tu n’étais pas faible.
— Eh bien, maintenant, demande-toi si ce n’est pas toi qui le deviens, faible.
Je reçus sa réponse comme un uppercut au menton. Avant qu’il ne m’adressât ce coup, je n’avais pas remarqué que j’écrivais un nouvel épisode du roman séculaire dans lequel les hommes prétendus libres et autonomes exécutent les désirs des femmes qui tiennent leur foyer. Pour dissimuler mon embarras, j’aiguillai l’échange sur les tracas pratiques.
— Un billet Bagdad-Londres, c’est inenvisageable : d’abord ça n’existe plus ; ensuite je n’obtiendrai pas de visa – je n’ai déjà pas de passeport ; enfin, je n’ai pas réuni la somme, ni pour le voyage ni pour m’installer à Londres. L’argent, le point noir réside là, d’ailleurs ! Si je n’en manquais pas, je contacterais des passeurs. Il paraît que, rue des Bouchers, contre mille dollars, ils te transportent à l’étranger.

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