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Eric-Emmanuel Schmitt - Chapitre 4 (suite) | Текст песни

Quelques heures plus tard, on m’expulsa ; le véhicule redémarra ; en ôtant mon bandeau, je reconnus le café Saïd.
Je m’approchai de l’unique réverbère qui fonctionnait encore et je distinguai une face tuméfiée dans une vitrine. En découvrant mes yeux pochés, ma lèvre fendue, les taches bleues et jaunâtres qui ombraient ma peau, mes cheveux collés aux croûtes des cicatrices, je ris. Longtemps. Avec bruit. Et avec complaisance. Au fond, j’étais assez fier de moi.
D’une démarche lente, difficultueuse, je progressai vers mon quartier. En passant le coin, je remarquai un garçon qui arpentait notre rue ; il se figea dès qu’il me vit.
— Saad Saad ?
— Oui.
— Bonsoir, je suis Amin, le cousin de Leila.
Je le regardai, et soudain, la douleur déferla sous mon crâne, ça cognait, j’avais mal. Au lieu de lui répondre, je grimaçai en me saisissant les tempes.
— Tu ne te sens pas bien ?
Je me laissai tomber sur le sol, dos au mur. Il s’accroupit à mon niveau et me dévisagea. Pendant ce temps, la douleur s’éloignait, par vagues lentes, comme à regret.
— Ça va aller…
— Tu t’es battu ? s’enquit-il avec un respect intimidé.
— Non, je sors d’un stage.
En quelques phrases, sans réfléchir, je lui débitai la leçon que j’avais ressassée ces derniers jours : je voulais me dévouer à mon pays, je luttais contre l’oppresseur américain, je donnerais ma vie pour le chasser et rétablir un gouvernement qui respecte notre pays et le Prophète, bref, par réflexe, je lui resservis le refrain susceptible d’éloigner la souffrance.
Après quelques moues d’étonnement, il approuva de la tête. Le silence s’installa. Par instants, il lorgnait, gêné, autour de lui, comme s’il se demandait ce qu’il fabriquait ici. Du coup, je lui posai la question :
— Tu étais venu avec une intention précise ?
— Non…
— C’est un hasard qui t’amène ici ?
— Non plus… j’étais… j’étais juste venu te dire que… moi aussi… comme toi… je regrettais Leila.
— Comme moi ? Sûrement pas !
— Comme un cousin… Excuse-moi, je me rends compte que c’était une idée idiote. Aucun de nous deux n’a envie de…
— Oui, c’est inutile ! conclus-je.
Sur ce, je me relevai, le saluai et montai chez moi sans me retourner, sans suspecter non plus le vrai motif de sa visite ; celui-ci, je n’allais l’apprendre que plusieurs années après.
Ma famille me chahuta car elle avait imaginé le pire, et, après quelques éclaircissements déguisés, je me laissai soigner, câliner par les femmes ; sur l’essentiel, je n’avouai rien, informant simplement ma mère que j’avais tenté une démarche qui me permettrait d’émigrer.
À l’aube, la plante des pieds en feu, je me traînai à la salle de bains où je préparai, dans une cuvette d’eau chaude, une mixture à base de citronnelle et de graines de moutarde. Lorsque je plongeai mes talons dans le liquide, mon père surgit.
— Tu ne vas quand même pas faire ça ?
— Un bain de moutarde ?
— Non, terroriste !
Par les orteils, le bien-être m’envahit. Je m’y abandonnai quelques secondes avant de murmurer :
— C’est bien ta suggestion, non ?
— Putain, fils ! Pourquoi n’es-tu pas fichu de piger ce que je raconte du premier coup ?
— Parce que tu n'es pas clair du premier coup ! Tout le monde sait ça. Toi aussi d’ailleurs.
— Nom d’une pipe, je ne t’ai pas conseillé d’entrer dans un mouvement terroriste.
— « Vends ton corps, ta jeunesse, ta force », ça signifiait quoi ? Si j’avais été une fille, j’aurais imaginé que tu m’envoyais au bordel. Heureux que je sois un homme…
Ma mère passa la tête et me demanda avec une contenance inquiète :
— Ça ne va pas, Saad ?


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