LES HAUTES LUMIÈRES Après la nuit / avant le jour Et à travers les roselières Après la nuit / avant le jour J'irai chercher les hautes lumières Aux innocents les mains pleines / je t'emmène lancer des médailles dans l'eau bleue des fontaines Et cueillir à nouveau ces visions / qu'on s'offrait autrefois / comme des couronnes C'est visions qu'on s'échangeait pour se dire / pour se rappeler : "Je suis veilleur / tu es musée" Je veux sentir les feuilles de menthe / craquer Sous nos dents / avec la chlorophylle qui s'échappe Et te faire écouter le son de carillon que fait le claquement des drisses de pavillon contre les mâts / avec en fond le grand fracas / de la mer qui rapporte Et au-dessus / la procession de cargos des nuages bas et blancs Je voudrais te faire rencontrer les femmes-cyprine et les ball queens / qu’elles nous habillent de robes et diadèmes Au croisement d’Amsterdam et de la 80e Pendant que moi je te mettrai / aux poignets / des bracelets de tissu / qui deviendront des bracelets de fleurs Puis des rubans / puis des violons Je porte le blason de mon clan / je l'ai désormais gravé / sur la face visible de mon coeur / mais ça ne fait pas mal / rassure-toi / au contraire J'ai fait broder nos souvenirs étincelants sur deux manteaux de nuit / que m’ont offert des frères tisserands / drapiers canuts J’ai à la main mes aussières / je suis prêt Après la nuit / avant le jour Et à travers les roselières Après la nuit / avant le jour Je t'offrirai les hautes lumières Aux innocents les mains pleines / je t'emmène plonger dans la Seine / et nager dans les courants forts de Beauchamp / nager dans les rivières / remonter les ruisseaux Puis prendre un bain brûlant / où je laverai ta peau Au lait d'ânesse / avant de sécher ton corps / moi-même / comme avant / quand on était adolescents Je veux faire l'amour dans les champs / dans les clairières / dans les taxis / je veux faire l'amour / partout / même sur les toits de Paris Je veux résider au creux de ton cou et dans tes draps parfumés au lilas Tandis qu'une madre enveloppée d'un châle rouge bénit / nos fronts en silence / avec des croix de baume au camphre Je te montrerai comment décrocher les boules blanches des symphorines / pour les éclater / sous nos pieds et entre nos doigts Avant d'aller regarder la lumière des lampadaires qui rougeoie et qui vacille sur les berges du fleuve endormi Dont les risées de vent plissent la surface Je veux offrir cette cigarette à ma mère / cette cigarette d’après la guerre / et son odeur vanillée Je t’emmène voir le granit rose / de ces îles qu’on peut pas déplacer / mais c’est pour nous protéger Je t'emmène tout rejouer / peut-être tout perdre / mais peut-être aussi / tout rafler / tout braquer / tout gagner Aux innocents les mains pleines / je t'emmène voir Tolède / Cavour / Sienne et Navone Toucher la faïence des rues de Lisbonne / et le marbre blanc / lisse et brillant / des palais Je veux entendre les salams des chauffeurs / et qu'ils nous crient : "Les enfants / je vous emmène à Orléans / si ça vous plaît !" Je veux t'offrir le tintement / des couverts d'argent contre le cristal Et les mots précieux des miens Je veux écouter les histoires des anciens / encore et encore / ces histoires millénaires qui renaissent : « On s’est connus / il y a 3000 ans / on se retrouve maintenant Et nos enfants feront de même » Je t'emmène loin des griffes de la colère / loin des regrets / loin des nausées Je t'emmène loin de la barbarie et des odeurs de kérosène / brûlé Je t'emmène / courir après des filles / après des garçons / après des rêves Et contempler les vivants / ces gens qu'on croise parfois / qui nous font tomber amoureux / pour 2 / pour 3 On doit encore parcourir la Terre / on doit trouver 100.000 soeurs et 100.000 frères / pour plus jamais être seuls dans les cimetières Alors sur la colline du Palatin / par-dessus les dômes byzantins / bientôt nous serons postés / nous armerons nos flèches de diamant / pour devenir sagittaires / et décrocher / les hautes lumières