Supplique pour être enterré à la plage de Sète [1966]
La camarde qui ne m'a jamais pardonné D'avoir sème des fleurs dans les trous de son nez Me poursuit d'un zèle imbécile; Alors cerné de près par les enterrements J'ai cru bon de remettre a jour mon testament, De me payer un codicille.
Trempe dans l'encre bleue du Golfe du Lion, Trempe, trempe ta plume, ô mon vieux tabellion, Et de ta plus belle écriture Note ce qu'il faudrait qu'il advint de mon corps Lorsque mon âme et lui ne seront plus d'accord Que sur un seul point: la rupture.
Quand mon âme aura pris son vol à l'horizon Vers celles de Gavroche et de Mimi Pinson, Celles des titis, des grisettes, Que vers le sol natal mon corps soit ramené Dans un sleeping du Paris-Mediterranée, Terminus en gare de Sète!
Mon caveau de famille, hélas n'est pas tout neuf; Vulgairement parlant, il est plein comme un oeuf, Et d'ici que quelqu'un n'en sorte, Il risque de se faire tard, et je ne peux Dire à ces brave gens "poussez-vous donc un peu Place aux jeunes en quelque sorte!"
Juste au bord de la mer, à deux pas des flots bleus Creusez si c'est possible un petit trou moelleux Une bonne petite niche Auprès de mes amis d'enfance les dauphins Le long de cette grève où le sable est si fin Sur la plage de la corniche
C'est une plage ou même, à ses moments furieux Neptune ne se prend jamais trop au sérieux Ou quand un bateau fait naufrage Le capitaine crie: je suis le maître à bord Sauve qui peut! le vin et le pastis d'abord Chacun sa bonbonne et courage!
Et c'est là que jadis, à quinze ans révolus A l'âge où s'amuser tout seul ne suffit plus Je connus la prime amourette Auprès d'une sirène, une femme-poisson Je reçus de l'amour la première leçon Avalai la première arête
Déférence gardée envers Paul Valéry Moi l'humble troubadour sur lui je renchéris Le bon maître me le pardonne Et qu'au moins si ses vers valent mieux que les miens Mon cimetière soit plus marin que le sien Et n'en déplaise aux autochtones
Cette tombe en sandwich, entre le ciel et l'eau Ne donnera pas une ombre triste au tableau Mais un charme indéfinissable Les baigneuses s'en serviront de paravent Pour changer de tenue, et les petits enfants Diront: Chouette un château de sable!
Est-ce trop demander, sur mon petit lopin Plantez, je vous en prie, une espèce de pin Pin parasol de préférence Qui saura prémunir contre l'insolation Les bons amis venus faire sur ma concession D'affectueuses révérences
Tantôt venant d'Espagne, et tantôt d'Italie Tous charges de parfums, de musiques jolies Le mistral et la tramontane Sur mon dernier sommeil verseront les échos De villanelle un jour, un jour de fandango De tarentelle, de sardane...
Et quand prenant ma butte en guise d'oreiller Une ondine viendra gentiment sommeiller Avec moins que rien de costume J'en demande pardon par avance à Jésus Si l'ombre de ma croix s'y couche un peu dessus Pour un petit bonheur posthume
Pauvres rois, pharaons! pauvre Napoléon! Pauvres grands disparus gisant au Panthéon Pauvres cendres de conséquence! Vous envierez un peu l'éternel estivant Qui fait du pédalo sur la vague en rêvant Qui passe sa mort en vacances Vous envierez un peu l'éternel estivant Qui fait du pédalo sur la vague en rêvant Qui passe sa mort en vacances