Rue de Seine dix heures et demie le soir au coin d’une autre rue un homme titube… un homme jeune avec un chapeau un imperméable une femme le secoue… elle le secoue et elle lui parle et il secoue la tête son chapeau est tout de travers et le chapeau de la femme s’apprête à tomber en arrière ils sont très pâles tous les deux l’homme certainement a envie de partir… de disparaître… de mourir… mais la femme a une furieuse envie de vivre et sa voix sa voix qui chuchote on ne peut pas ne pas l’entendre c’est une plainte… un ordre… un cri… tellement avide cette voix… et triste et vivante… un nouveau né malade qui grelotte sur une tombe dans un cimetière l’hiver… le cri d’un être les doigts pris dans la portière… une chanson une phrase toujours la même une phrase répétée… sans arrêt sans réponse… l’homme la regarde ses yeux tournent il fait des gestes avec les bras comme un noyé et la phrase revient rue de Seine au coin d’une autre rue la femme continue sans se lasser… continue sa question inquiète plaie impossible à panser Pierre dis-moi la vérité Pierre dis-moi la vérité je veux tout savoir dis-moi la vérité… le chapeau de la femme tombe Pierre je veux tout savoir dis-moi la vérité… question stupide et grandiose Pierre ne sait que répondre il est perdu celui qui s’appelle Pierre… il a un sourire que peut-être il voudrait tendre et répète Voyons calme toi tu es folle mais il ne croit pas si bien dire mais il ne voit pas il ne peut pas voir comment sa bouche d’homme est tordue par son sourire… il étouffe le monde se couche sur lui et l’étouffe il est prisonnier coincé par ses promesses… on lui demande des comptes… en face de lui… une machine à compter une machine à écrire des lettres d’amour une machine à souffrir le saisit… s’accroche à lui… Pierre dis-moi la vérité