Plus rien ne bouge, tous les curieux retiennent leur respiration Silence de mort autour du stand, c'est Jacky qui tape le carton Il cligne un oeil, presse la détente et il explose tous les ballons Avec son chapeau, ses santiags, au Luna Park, c'est l'attraction Il les entend, ceux qui rigolent, mais il fait même plus attention Il gagne un canard en plastique sous des bravos de compassion Et puis il rentre à la maison offrir le trophée à sa mère Qui est si fière de son fiston : le portrait craché de son père
Parce que papa, il aimait les bêtes, il avait même ramené d'Indo un joli couple de bengalis, ils sont derrière sur la photo, Jacky, il aurait bien voulu, lui aussi, rentrer dans l'armée, Courir le monde, voir du pays, faire des cartons pour de vrai Mais il entend rien d'une oreille alors il s'occupe de maman Il lui ramène des peluches, des girafes, des éléphants. Dans l'salon y a une télé, des cendriers en céramique, Une montagne de peluches et des canards en plastique
Et puis le soir, quand il s'endort et qu'il entend sa pauv' maman Pleurer de l'autre côté du mur, il se demande évidemment Si c'est d'sa faute si elle est triste, pourquoi elle est plus comme avant, Il met les mains sur ses oreilles si fort qu'il l'entend plus vraiment Et ça lui fait tellement mal, si mal, qu'il sent plus la douleur Il voit des images dans sa tête qu'il comprend pas, qui lui font peur "Et si elle venait avec moi, demain, comme elle serait contente, J'lui montrerais le stand de tir demain, comme elle serait contente !"
Le lendemain, elle est jolie, avec sa robe de couleurs Elle a fini par bien vouloir m'accompagner, maintenant j'ai peur De les rater tous ces ballons, j'vais lui montrer que j'suis gentil, Pourquoi ils bougent tant ces ballons ? C'est pas normal et puis ce bruit, que d'habitude j'entendais pas, y a des milliers de gens autour, Ils vont faire pleurer ma maman, j'peux pas la décevoir le jour Où elle est venue avec moi ! Alors il presse la détente, un peu trop vite, un peu pour elle, un peu pour calmer son attente
Plus rien ne bouge, tous les curieux, retiennent leur respiration Silence de mort autour du stand, il a manqué tous les ballons Et il sait bien qu' c'est pas d 'sa faute, qu' c'est les autres qu'ont fait du bruit Mais il est tellement triste quand il la voit s'éloigner sans lui Elle va pleurer à la maison, rien ne sera plus jamais comme avant Il met les mains sur ses oreilles, si fort, qu'il souffre plus vraiment Et ça lui fait tellement mal, si mal qu'il sent plus la douleur, Il voit ces images dans la tête, qui lui reviennent, qui lui font peur
Alors il tourne le fusil vers ceux qu'ont fait pleurer sa mère, vers ceux qui parlent dans son dos, pour mettre fin à son calvaire Et il a juste tous ces ballons qui font du bruit, qui pleurent, qui courent, qui tombent, qui geignent, qui rebondissent, Il les explose tour à tour "Vous voyez bien que j'suis l'meilleur, j'suis presque aussi bon que mon père ! C'est juste pour une histoire d'oreille que j'suis pas allé à la guerre !"
Et puis il rentre à la maison, déçu qu'elle ait pas vu la suite et sur la montagne de peluches, dépose un canard en plastique...