Elle traînait toutes les journées de l’autre côté de cette place. De ma terrasse, je la louchais comme tous les mecs de mon quartier. Sa robe qui claquait devant nous lui donnait l’allure d’une gifle, je l’aurais bien prise contre ma joue mais ça ne sert à rien, à rien du tout. Je pourrais jamais passer ma main dans cette détresse entremêlée, tous ses cheveux noués d’espoirs me feraient descendre par tout le quartier. Mais putain ! Quelle joie je me ferais de la tenter. Elle, elle n’a pas arrêté de danser, taper du pied c’est son audace... dans une Espagne où les gitans ne sont pas tous des brigands.
Martha c’est une gitane, elle a le sang dévissé. La douleur de son âme, elle n’y sait rien, personne d’ailleurs. Et elle chante continuellement que le jour tombera sur sa grotte, demain, après demain, tous les après demain de sa vie. Le temps n’est qu’une famine qui lui creuse le ventre, et se lèche les babines d’être passé comme une pente. Elle chaussera ses talons pour aller battre le sol de Grenade et vendra du poisson, c’est pas sa vie, son opinion. Cette chanson, elle s’en fout, tant qu’elle mange, elle pourra danser. Cette chanson, elle s’en fout, tant qu’elle danse, elle pourra rêver.
Le ciel peut s’éventrer et écraser toute sa colère. Ses bourrasques diluviennes peineraient à éteindre ce brasier. L’Andalousie sembler cramer jusque sous ses orangers mais les touristes sont des touristes et continuent de visiter. Les monuments sont là mais la musique a disparu, l’âme gitane peut se reposer, la pluie bat la mesure pour eux. Voilà je comprenais enfin le bruit des caisses de guitares, ce peuple qui frappe dans ses mains la pluie d’Espagne.
Martha, c’est son nom de baptême mais elle préfère niña de sol. Vous ne connaîtrez jamais de nuits qui soient plus noires que ses prunelles. Vous n’éprouverez jamais autant d’ennui qu’elle le pourrait un jour de pluie...