Je crois qu'il profita, pour son йvasion, d'une migration d'oiseaux sauvages. Au matin du dйpart il mit sa planиte bien en ordre. Il ramona soigneusement ses volcans en activitй. Il possйdait deux volcans en activitй. Et c'йtait bien commode pour faire chauffer le petit dйjeuner du matin. Il possйdait aussi un volcan йtent. Mais, comme il disait, "On ne sais jamais!" Il ramona donc йgalement le volcan йteint. S'ils sont bien ramonйs, les volcans brыlent doucement et rйguliиrement, sans йruptions. les йruptions volcaniques sont comme des feux de cheminйe. Evidemment sur notre terre nous sommes beaucoup trop petits pour ramoner nos volcans. C'est pourquoi ils nous causent tant d'ennuis.
Le petit prince arracha aussi, avec un peu de mйlancolie, les derniиres pousses de baobabs. Il croyait ne plus jamais devoir revenir. Mais tout ces travaux familiers lui parurent, ce matin-lа, extrиmement doux. Et, quand il arrosa une derniиre fois la fleur, et se prйpara а la mettre а l'abri sous son globe, il se dйcouvrit l'envie de pleurer. -Adieu, dit-il а la fleur. Mais elle ne lui rйpondit pas. _Adieu, rйpйta-t-il. La fleur toussa. Mais ce n'йtait pas а cause de son rhume. -J'ai йtй sotte, lui dit-elle enfin. Je te demande pardon. Tвche d'кtre heureux. Il fut surpris par l'absence de reproches. Il restait lа tout dйconcentrй, le globe en l'air. Il ne comprennait pas cette douceur calme. -Mais oui, je t'aime, lui dit la fleur. Tu n'en a rien su, par ma faute. Cela n'a aucune importance. Mais tu as йtй aussi sot que moi. Tвche d'кtre heureux... Laisse ce globe tranquille. Je n'en veux plus. -Mais le vent... -Je ne suis pas si enrhumйe que зa... L'air frais de la nuit me fera du bien. Je suis une fleur. -Mais les bкtes... -Il faut bien que je supporte deux ou trois chenilles si je veux connaоtre les papillons. Il paraоt que c'est tellement beau. Sinon qui me rendra visite? Tu seras loin, toi. Quant aux grosses bкtes, je ne crains rien. J'ai mes griffes. Et elle montrait naivement ses quatre йpines. Puis elle ajouta: -Ne traоne pas comme зa, c'est agaзant. Tu as dйcidй de partir. Va-t'en. Car elle ne voulait pas qu'il la vоt pleurer. C'йtait une fleur tellement orgueilleuse...
Le Chapitre X
Il se trouvait dans la rйgion des astйroпdes 325, 326, 327, 328, 329 et 330. Il commenзa donc par les visiter pour y chercher une occupation et pour s'instruire. La premiиre йtait habitйe par un roi. le roi siйgeait, habillй de pourpre et d'hermine, sur un trфne trиs simple et cependant majesteuex. -Ah! Voilа un sujet, s'йcria le roi quand il aperзut le petit prince. Et le petit prince se demanda: -Comment peut-il me connaоtre puisqu'il ne m'a encore jamais vu! Il ne savait pas que, pour les rois, le monde est trиs simplifiй. Tous les hommes sont des sujets. -Approche-toi que je te voie mieux, lui dit le roi qui йtait tout fier d'кtre roi pour quelqu'un.
Le petit prince chercha des yeux oщ s'asseoir, mais la planиte йtait toute encombrйe par le magnifique manteau d'hermine. Il resta donc debout, et, comme il йtait fatiguй, il bвilla. -Il est contraire а l'йtiquette de bвiller en prйsence d'un roi, lui dit le monarque. Je te l'interdis. -Je ne peux pas m'en empкcher, rйpondit le petit prince tout confus. J'ai fait un long voyage et je n'ai pas dormi... -Alors, lui dit le roi, je t'ordonne de bвiller. Je n'ai vu personne bвiller depuis des annйes. les bвillements sont pour moi des curiositйs. Allons! bвille encore. C'est un ordre. -Ca m'intimide... je ne peux plus... fit le petit prince tout rougissant. -Hum! Hum! rйpontit le roi. Alors je... je t'ordonne tantфt de bвiller et tantфt de... Il bredouillait un peu et paraissait vexй. Car le roi tenait essentiellement а ce que son autoritй fыt respectйe. Il ne tolйrait pas le dйsobйissance. C'йtait un monarque absolu. Mais comme il йtait trиs bon, il donnait des ordres raisonnables. "Si j'ordonnais, disait-il couramment, si j'ordonnais а un gйnйral de se changer en oiseau de mer, et si le gйnйral n'obйissait pas, ce ne serait pas la faute du gйnйral. Ce serait ma faute." -Puis-je m'asseoir? s'enquit timidement le petit prince. -Je t'ordonne de t'asseoir, lui rйpondit le roi, qui ramena majestueusement un pan de son manteau d'hermine. Mais le petit prince s'йtonnait. la planиte йtait minuscule. Sur quoi le roi pouvait-il bien reigner? -Sire, lui dit-il... je vous demande pardon de vous interroger... -Je t'ordonne de m'interroger, se hвta de dire le roi. -Sire... sur quoi rйgnez-vous? -Sur tout, rйpondit le roi, avec une grande simplicitй. -Sur tout? Le roi d'un geste discret dйsigna sa planиte, les autres planиtes et les йtoiles. -Sur tout зa? dit le petit prince. -Sur tout зa... rйpondit le roi. Car non seulement c'йtait un monarque absolu mais c'йtait un monarque universel. -Et les йtoiles vous obйissent? -Bien sыr, lui dit le roi. Elles obйissent aussitфt. Je ne tolиre pas l'indiscipline. Un tel pouvoir йmerveilla le petit prince. S'il l'avait dйtendu lui-mкme, il aurait pu assister, non pas а quarante-quatre, mais а soixante-douze, ou mкme а cent, ou mкme а deux cents couchers de soleil dans la mкme journйe, sans avoir jamais а tirer sa chaise! Et comme il se sentait un peu triste а cause du souvenir de sa petite planиte abandonnйe, il s'enhardit а solliciter une grвce du roi: -Je voudrais voire un coucher de soleil... Faites-moi plaisir... Ordonnez au soleil de se coucher... -Si j'ordonnais а un gйnйral de voler une fleur а l'autre а la faзon d'un papillon, ou d'йcrire une tragйdie, ou de se changer en oiseau de mer, et si le gйnйral n'exйcutait pas l'ordre reзu, qui, de lui ou de moi, serait dans son tort? -Ce serait vous, dit fermement le petit prince. -Exact. Il faut exiger de chaqu'un ce que chaqu'un peut donner, reprit le roi. L'autoritй repose d'abord sur la raison. Si tu ordonnes а ton peuple d'aller se jeter а la mer, il fera la rйvollution. J'ai le droit d'exiger l'obйissance parce que mes ordres sont raisonnables. -Alors mon coucher de soleil? rappela le petit prince qui jamais n'oubliait une question une fois qu'il l'avait posйe. -Ton coucher de soleil, tu l'auras. Je l'exigerai. Mais j'attendrai, dans ma science du gouvernement, que les conditions soient favorables. -Quand зa sera-t-il? s'informa le petit prince. -Hem! Hem! lui rйpondit le roi, qui consulta d'abord un gros calendrier, hem! hem! ce sera, vers... vers... ce sera ce soir vers sept heures quarante! Et tu verras comme je suis bien obйi. Le petit prince bвilla. Il regrettait son coucher de soleil manquй. Et puis il s'ennuyait dйjа un peu: -Je n'ai plus rien а faire ici, dit-il au roi. Je vais repartir! -Ne pars pas, rйpontit le roi qui йtait si fier d'avoir un sujet. Ne pars pas, je te fais ministre! -Ministre de quoi? -De... de la justice! -Mais il n'y a personne а juger! -On ne sait pas, lui dit le roi. Je n'ai pas fait encore le tour de mon royaume. Je suis trиs vieux, je n'ai pas de place pour un carrosse, et зa me fatigue de marcher. -Oh! Mais j'ai dйjа vu, dit le petit prince qui se pencha pour jeter encore un coup d'oeil sur l'autre cфtй de la planиte. Il n'y a personne lа-bas non plus... -Tu te jugeras donc toi-mкme, lui rйpondit le roi. C'est le plus difficile. Il est bien plus difficile de se juger soi-mкme que de juger autrui. Si tu rйussis а bien te juger, c'est que tu es un vйritable sage. -Moi, dit le petit prince, je puis me juger moi-mкme n'importe oщ. Je n'ai pas besoin d'habiter ici. -Hem! Hem! dit le roi, je crois bien que sur ma planиte il y a quelque part un vieux rat. Je l'entends la nuit. Tu pourras juger ce vieux rat. Tu le condamneras а mort de temps en temps. Ainsi sa vie dйpendera de ta justice. Mais tu le gracieras chaque fois pour йconomiser. Il n'y en a qu'un. -Moi, rйpondit le petit prince, je n'aime pas condamner а mort, et je crois bien que je m'en vais. -Non, dit le roi. Mais le petit prince, ayant achevйses prйparatifs, ne voulut point peiner le vieux monarque: -Si votre majestй dйsirait кtre obйie ponctuellement, elle pourrait me donner un ordre raisonnable. Elle pourrait m'ordonner, par exemple, de partir avant une minute. Il me semble que les conditions sont favorables... Le roi n'ayant rien rйpondu, le petit prince hйsita d'abord, puis, avec un soupir, pris le dйpart. -Je te fais mon ambassadeur, se hвta alors de crier le roi. Il avait un grand air d'autoritй. Les grandes personnes sont bien йtranges, se dit le petit prince, en lui mкme, durant son voyage.
Le Chapitre XI
La seconde planиte йtait habitйe par un vaniteux: -Ah! Ah! Voilа la vistit d'un admirateur! s'йcria de loin le vaniteux dиs qu'il aperзut le petit prince. Car, pour les vaniteux, les autres hommes sont des admirate