CHARLOTTE (seule, assise près de la table à ouvrage; songeant) Werther... Werther... Qui m'aurait dit la place que dans mon coeur il occupe aujourd'hui? Depuis qu'il est parti, malgré moi,
(Elle laisse tomber son ouvrage.)
tout me lasse! Et mon âme est pleine de lui!
(Lentement, elle se lève comme attirée vers le secrétaire qu'elle ouvre.)
Ces lettres! ces lettres! Ah! je les relis sans cesse... Avec quel charme... mais aussi quelle tristesse! Je devrais les détruire... je ne puis!
(Elle est revenue près de la table, les yeux fixés sur la lettre qu'elle lit.)
\"Je vous écris de ma petite chambre: au ciel gris et lourd de Décembre pèse sur moi comme un linceul, Et je suis seul! seul! toujours seul!\"
(Retombant sur le siège qu'elle occupait)
Ah! personne auprès de lui! pas un seul témoignage de tendresse... ou même de pitié! Dieu! comment m'est venu ce triste courage, d'ordonner cet exil et cet isolement?
(Après un temps elle a pris une autre lettre et l'ouvre. Lisant)
\"Des cris joyeux d'enfants montent sous ma fenêtre, Des cris d'enfants! Et je pense à ce temps si doux. Où tous vos chers petits jouaient autour de nous! Ils m'oublieront peut-être?\"
(cessant de lire; avec expression)
Non, Werther, dans leur souvenir votre image reste vivante... et quand vous reviendrez... mais doit-il revenir?
(Elle se lève avec effroi)
Ah! ce dernier billet me glace et m'épouvante!
(lisant)
\"Tu m'as dit: à Noël, et j'ai crié: jamais! On va bientôt connaître qui de nous disait vrai! Mais si je ne dois reparaître au jour fixé, devant toi, ne m'accuse pas, pleure-moi!
(répétant avec effroi, craignant de comprendre)
\"Ne m'accuse pas, pleure-moi!\"
(reprenant sa lecture)
Oui, de ces yeux si pleins de charmes, ces lignes...tu les reliras, tu les mouilleras de tes larmes... O Charlotte, et tu frémiras!\"