Eh bien, tous ces marins – matelots, capitaines, Dans leur grand Océan à jamais engloutis… Partis insoucieux pour leurs courses lointaines Sont morts – absolument comme ils étaient partis.
Allons ! c’est leur métier ; ils sont morts dans leurs bottes ! Leur boujaron au cœur, tout vifs dans leurs capotes… – Morts… Merci : la Camarde a pas le pied marin ; Qu’elle couche avec vous : c’est votre bonne femme… – Eux, allons donc : Entiers ! enlevés par la lame ! Ou perdus dans un grain…
Un grain… est-ce la mort ça ? la basse voilure Battant à travers l’eau ! – Ça se dit encombrer… Un coup de mer plombé, puis la haute mâture Fouettant les flots ras – et ça se dit sombrer.
– Sombrer – Sondez ce mot. Votre mort est bien pâle Et pas grand’chose à bord, sous la lourde rafale… Pas grand’chose devant le grand sourire amer Du matelot qui lutte. – Allons donc, de la place ! – Vieux fantôme éventé, la Mort change de face : La Mer !…
Noyés ? – Eh allons donc ! Les noyés sont d’eau douce. – Coulés ! corps et biens ! Et, jusqu’au petit mousse, Le défi dans les yeux, dans les dents le juron ! À l’écume crachant une chique râlée, Buvant sans hauts-de-cœur la grand’ tasse salée… – Comme ils ont bu leur boujaron. –
– Pas de fond de six pieds, ni rats de cimetière : Eux ils vont aux requins ! L’âme d’un matelot Au lieu de suinter dans vos pommes de terre, Respire à chaque flot.
– Écoutez, écoutez la tourmente qui beugle !… C’est leur anniversaire – Il revient bien souvent – Ô poète, gardez pour vous vos chants d’aveugle ; – Eux : le De profundis que leur corne le vent.
… Qu’ils roulent infinis dans les espaces vierges !… Qu’ils roulent verts et nus, Sans clous et sans sapin, sans couvercle, sans cierges… – Laissez-les donc rouler, terriens parvenus !