D'abord (d'abord), il y a l'aîné Lui qu'est comme un melon Lui qu'a un gros nez Lui qui sait plus son nom, Monsieur, tellement qui boit Ou tellement qu'il a bu Qui fait rien de ses dix doigts Mais lui qui n'en peut plus Lui qui est complètement cuit Et qui se prend pour le roi, Qui se saoule toutes les nuits Avec du mauvais vin Mais qu'on retrouve matin Dans l'église qui roupille Raide comme une saillie Blanc comme un cierge de Pâques Et puis qui balbutie Et qui a l'oeil qui divague. Faut vous dire, Monsieur, Que chez ces gens-là On ne pense pas, Monsieur, On ne pense pas On prie.
Et puis, il y a l'autre Des carottes dans les cheveux Qu'a jamais vu un peigne Qu'est méchant comme une teigne Même qu'il donnerait sa chemise A des pauvres gens heureux Qui a marié la Denise Une fille de la ville Enfin d'une autre ville Et que c'est pas fini Qui fait ses petites affaires Avec son p'tit manteau Avec son p'tit chapeau Avec sa p'tite auto Qu'aimerait bien avoir l'air Mais qui n'a pas l'air du tout Faut pas jouer les riches Quand on n'a pas le sou Faut vous dire, Monsieur, Que chez ces gens-là On ne vit pas, Monsieur, On ne vit pas, On triche.
Et puis, il y a les autres La mère qui ne dit rien Ou bien n'importe quoi Et du soir au matin Sous sa belle gueule d'apôtre Et dans son cadre en bois Il y a la moustache du père Qui est mort d'une glissade Et qui recarde son troupeau Bouffer la soupe froide Et ça fait des grands "sluurp" Et ça fait des grands "sluurp" Et puis il y a la toute vieille Qu'en finit pas de vibrer Et qu'on attend qu'elle crève Vu que c'est elle qu'a l'oseille Et qu'on écoute même pas Ce que ses pauvres mains racontent Faut vous dire, Monsieur, Que chez ces gens-là On ne cause pas, Monsieur, On ne cause pas On compte.
Et puis, et puis, Et puis, il y a Frida Qui est belle comme un soleil Et qui m'aime pareil Que moi j'aime Frida Même qu'on se dit souvent Qu'on aura une maison Avec des tas de fenêtres Avec presque pas de murs Et qu'on vivra dedans Et qu'il fera bon y être Et que si c'est pas sûr C'est quand même peut-être Parce que les autres veulent pas Parce que les autres veulent pas. Les autres ils disent comme ça Qu'elle est trop belle pour moi Que je suis tout juste bon A égorger les chats J'ai jamais tué de chats Ou alors y a longtemps Ou bien j'ai oublié Ou ils sentaient pas bon Enfin, ils ne veulent pas. Parfois quand on se voit Semblant que c'est pas exprès Avec ses yeux mouillants Elle dit qu'elle partira Elle dit qu'elle me suivra Alors pour un instant Pour un instant seulement Alors moi je la crois, Monsieur, Pour un instant. Pour un instant, seulement, Parce que chez ces gens-là Monsieur, on ne s'en va pas On ne s'en va pas, Monsieur, On ne s'en va pas Mais il est tard, Monsieur, Il faut que je rentre chez moi.