L’avenir nous met en retard Demain c’est comme hier on n’y peut pas toucher On a la vie devant soi comme un boulet lourd aux talons Le vent dans le dos nous écrase le front contre l’air On se perd pas à pas On perd ses pas un à un On se perd dans ses pas Ce qui s’appelle des pas perdus
Voici la terre sous nos pieds Plate comme une grande table Seulement on n’en voit pas le bout (C’est à cause de nos yeux qui sont mauvais)
On n’en voit pas non plus le dessous D’habitude Et c’est dommage Car il s’y décide des choses capitales À propos de nos pieds et de nos pas C’est là que se livrent des conciliabules géométriques Qui nous ont pour centre et pour lieu C’est là que la succession des points devient une ligne Une ficelle attachée à nous Et que le jeu se fait terriblement pur D’une implacable constance dans sa marche au bout qui est le cercle Cette prison.
Vos pieds marchent sur une surface dure Sur une surface qui vous porte comme un empereur Mais vos pas à travers tombent dans le vide pas perdus
Font un cercle et c’est un point On les place ici et là, ailleurs, à travers vingt rues qui se croisent Et l’on entend toc toc sur le trottoir toujours à la même place Juste au-dessous de vos pieds
Les pas perdus tombent sous soi dans le vide et l'on croit qu'on ne va plus les rencontrer On croit que le pas perdu c'est donné une fois pour toutes perdu une fois pour toutes Mais c'est une bien drôle de semence Et qui a sa loi Ils se placent en cercle et vous regardent avec ironie Prisonnier des pas perdus.