(Le titre de trois poèmes pour voix et orchestre, 1898-1903) Susan Graham
« Asie, Asie, Asie,
Vieux pays merveilleux des contes de nourrice, Où dort la fantaisie Comme une impératrice En sa forêt tout emplie de mystères, Asie, Je voudrais m'en aller avec ma goélette Qui se berce ce soir dans le port, Mystérieuse et solitaire, Et qui déploie enfin ses voiles violettes Comme un immense oiseau de nuit dans le ciel d'or.
Je voudrais m'en aller vers les îles de fleurs En écoutant chanter les mer perverse Sur un vieux rythme ensorceleur ; Je voudrais voir Damas et les villes de Perse Avec les minarets légers dans l'air ; Je voudrais voir de beaux turbans de soie Sur des visages noirs aux dents claires ; Je voudrais voir des yeux sombres d'amour Et des prunelles brillantes de joie En des peaux jaunes comme des oranges ; Je voudrais voir des vêtements de velours Et des habits à longue franges ; Je voudrais voir des calumets entre des bouches Tout entourées de barbes blanches ; Je voudrais voir d'âpres marchands aux regards louches, Et des cadis et des vizirs Qui du seul mouvement de leur doigt qui se penche Accordent vie et mort au gré de leur désir.
Je voudrais voir la Perse et l'Inde et puis la Chine, Les mandarins ventrus sous les ombrelles, Et les princesses aux mains fines et les lettrés qui se querellent sur la poésie et sur la beauté ;
Je voudrais m'attarder au palais enchanté Et comme un voyageur étranger Contempler à loisir des paysages peints Sur des étoffes en des cadres de sapin Avec un personnage au milieu d'un verger ;
Je voudrais voir des assassins souriants Du bourreau qui coupe un cou d'innocent Avec un grand sabre courbé d'Orient ; Je voudrais voir des pauvres et des reines ; Je voudrais voir des roses et du sang ; Je voudrais voir mourir d'amour ou bien de haine, Et puis, m'en revenir plus tard Narrer mon aventure aux curieux de rêves, En conservant comme Sindbad Ma vieille pipe arabe De temps en temps entre mes lèvres Pour interrompre le conte avec l'art... »