Ce n'est pas parce que c'est mon fils, mais je dois reconnaître que je ne l'ai pas raté. Il s’agit là d’un simple constat. Il est pourtant en plein âge ingrat. Autant dire la pire période de transition qui soit… Eh bien chez lui, la mue ne se voit pas. Il n’a aucun problème d’acné. Aucune difficulté à s’exprimer. Il ne sent même pas des pieds. N’allez surtout pas croire que je fanfaronne ! Je sais rester discrète sur mes succès. Elliptique. Ils ne regardent que moi. Mais là ! L'évidence crève les yeux. Mon fils, je l’ai drôlement bien réussi. Je le regardais encore tout à l’heure, pendant que je terminais de lui peler sa pomme… C’est vrai qu’il me ressemble. Une vraie photocopie. Même front volontaire, même regard qui va au fond des choses. Je peux le dire sans fausse pudeur : physiquement, Hugues-Guy promet. C’est bien simple : toutes les filles lui courent après. Et puis intelligent avec ça. Brillant ! Hier, en rangeant sa chambre, j’ai retrouvé sa disserte sur la guerre de cent ans. Je l’ai épinglée sur le mur, tellement elle était éblouissante. Rien moins qu'une copie double. Sa description de la bataille de Crécy était poignante. On y était. Le champ de bataille sous une pluie de flèches, l’orage qui menace, les armures s'entrechoquant dans une mêlée sauvage, les chevaux, dressés poitrail contre poitrail… Un vrai charnier. Si seulement il n'avait pas traité les Anglais de "rosbifs" dès son incipit… En ce 26 août 1346, ces félons de rosbifs ont filé la pâtée aux armées de Philippe VI. A la suite d'un orage dévastateur grippant leurs arbalètes, les Français ont eu la malchance inouïe de devoir combattre avec le soleil dans l'œil… Ce qui est parfaitement exact, soit dit en passant. Mais le prof d’histoire a très mal réagi. Forcément. Il s’appelle Mister Smith. En marge, cet imbécile avait noté d'une écriture nerveuse : La bataille de Crécy prouve à elle seule l'indéniable supériorité militaire des Anglais sur l'indiscipline française. Je suis allée me plaindre auprès du Proviseur, Monsieur Simplot, qui a immédiatement convoqué Monsieur Smith, et l’a prié instamment de mettre un peu d’eau dans son vin. En entendant ça, Smith a pris la tête d’un type qui a avalé son thermomètre. Il a répliqué d'une voix pincée qu'il buvait uniquement du Lapsang Souchong agréé par sa Royale Majesté ! Il prend sa retraite à la fin de l'année, grâce à Dieu.
Les profs sont incroyables, dans ce bahut. A croire qu’ils refusent d’admettre que Hugues-Guy est un brillant sujet. Madame Rousson, la prof de dessin, est à côté de la plaque. Elle rabâche que c’est à l’audace qu’on reconnaît les vrais artistes. Le mois dernier, elle a fait circuler une photo mal cadrée d’un égouttoir à bouteilles. Il fallait s’en inspirer pour créer une œuvre soi-disant originale et ludique… C’était la consigne. Rousson a eu ce qu’elle méritait. Elle s’est retrouvée à la tête de trente-deux tire-bouchons. Celui de Hugues-Guy était particulièrement réussi. Tellement criant de vérité, que je me suis débouché un petit Médoc tout de suite après, pour faire passer le 2 sur 20 qu’elle lui a odieusement collé. Il méritait 16.
Dans le lot, seul Monsieur Cocard trouve grâce à mes yeux. C’est le prof de chimie. Il fait travailler ses élèves en binôme, il dit que ça les stimule. Lui a bien compris toute la richesse d’invention de Hugues-Guy, qui obtient d’excellen